Petite histoire de démographie
Par : Anaïse

Vous avez sûrement déjà vu des courbes comme celle ci-contre. Elle représente la transition démographique. La baisse de la mortalité, suivie de la baisse de la natalité. En dessous de ces deux courbes, on voit l’évolution de la population (aire pointillée), qui résulte de l’équilibre entre ces deux facteurs, natalité et mortalité. Mais qu’est-ce qui se cache derrière ? Comment est-on passé d’un bout à l’autre de la courbe? C’est ce que nous allons voir dans cette série d’articles. Dans celui-ci, nous sommes au XXème siècle, le moment ou la transition cesse d’être européenne pour devenir mondiale !

3 ) Le XX ème siècle



Au XXème siècle, la transition démographique européenne est en marche. Dans la deuxième moitié de ce dernier apparaissent d’ailleurs les contraceptifs modernes, ainsi que plus tardivement la légalisation de l’avortement. Passant d’abord inaperçue, cette transition est ensuite sévèrement décriée, tant par l’Etat que par l’Eglise, au début du XXème siècle, jusqu’à l’entre-deux guerre environ.
Dans le même temps, au cours des XIX et XXème siècle, l’Europe s’industrialise, se modernise. De l’Europe rurale qui pratiquait une agriculture de subsistance, nous sommes passés à une Europe industrialisée, qui devient avec les USA l’une des régions les plus puissantes du monde, économiquement du moins.
Peu à peu, dans l’esprit des gens, les deux faits se corrèlent. Moins d’enfants, plus d’industrie. La transition devient un synonyme de modernité, voire d’avancement sociétal. On note tout de même un changement de point de vue dans les années 50.
Avant cette date, les démographes pensent que la transition est due à l’industrialisation, à la “modernisation”, dans tous les sens du terme (y compris le passage à une démocratie libérale). On pense que pour que les pays “du tiers monde” entament leur transition, il faut qu’ils se modernisent. On appelle cette théorie la “théorie du seuil”. A partir d’un certain seuil de développement, les femmes voudront naturellement avoir moins d’enfants…
Puis, la démographie des pays du tiers monde explose, due à la baisse de la mortalité. Elle explose tellement rapidement qu’elle est vue comme un frein au développement. (Se développer implique d’avoir une population instruite, mais comment instruire une population d’une telle ampleur ? Le nombre d’écoles qu’il faudrait construire est trop grand, etc.). Ainsi, cette explosion démographique empêcherait les pays de se développer, or, s’ ils ne développent pas, ils n’atteindront jamais ce seuil, ou la natalité baisserait et ou l’explosion s’arrêterait.
On se rend bien compte que la situation est bloquée, la théorie du seuil ne peut pas fonctionner. Elle se renverse alors. Pour se développer, il faut que la transition démographique se produise. Dès lors, pour aider les pays en voie de développement, l’Europe crée des centres de plannings familiaux qui ont pour but de réduire la natalité des pays en voie de développement. C’est aussi dans cette optique que sont créés, aux Etats-Unis, la pilule contraceptive et le stérilet, qui, s’ ils sont aussi utilisés en Occident, ont été conçus pour les femmes des pays en voie de développement.
Les théories de Malthus reviennent sur la scène à peu près à la même époque. Selon ce dernier, alors que la population peut croître de façon exponentielle, les ressources ne peuvent quant à elles que croître de façon linéaire.
Par conséquent, si la mortalité baisse dans les pays en voie de développement (grâce à l’arrivée des vaccins, notamment), la natalité doit baisser, sinon les pays en question s’exposent à des famines et autres manques de ressources.
C’est ce qu’on appelle alors la “bombe P”, du nom du livre éponyme de Paul Ehrlich, publié en 1969, le P signifiant population. D’où la nécessité d’intervenir.
Les centres de plannings familiaux fonctionnèrent, dans une certaine mesure. La fécondité diminua dans la plupart des pays d’Asie et d’Amérique latine.
En revanche, dans les années 1970, 80, 90, la fécondité africaine ne semble pas devoir baisser. Les populations répugnent à employer les contraceptifs proposés par les centres de plannings familiaux.
Beaucoup de discours naissent sur un “attardement sociétal” africain, sur les méfaits de la tradition, qui emprisonnerait les femme africaines dans une fécondité élevée. Parce que le modèle de la transition avait fonctionné en Europe, il devait forcément fonctionner ailleurs. Parce que la natalité baissait partout ailleurs, elle devait baisser en Afrique. Si elle ne baissait pas, la bombe P exploserait. Les économistes et démographes prévoient alors des famines à 5 millions de morts.
Pourtant, la natalité ne baisse pas (des sondages réalisés dans certains pays du continent africain sur le nombre d’enfants idéal effraient, car les résultats correspondent exactement au nombre moyen d’enfant par femme, suggérant par là que les femme n’ont aucune intention de faire baisser leur fécondité), mais la bombe P n’explose pas. Des pressions sur les ressources existent, mais les famines à 5 millions de morts ne se produisent pas.
Pourquoi ? Pourquoi, alors que la plupart des pays du continent africain sont pauvres, les familles arrivent-elles à nourrir leurs enfants, quand certaines femmes en ont plus de 10?
Une piste se situe dans le système de “gardage”, qui consiste à confier certains de ses enfants à d’autres familles, qui n’arrivent pas à en avoir (des problèmes d’infertilités sont présents dans certaines régions) ou dont les enfants sont grands et n’habitent plus avec leurs parents. De cette façon, les enfants sont en quelque sorte répartis, et il est plus facile de subvenir à leurs besoins.
Mais malgré tout, la fécondité africaine finit par baisser, à partir des années 90. Chaque pays observe un modèle de transition différent, je ne les détaillerais pas ici.
Les centres de plannings familiaux se mettent à avoir davantage de succès, car ils se basent sur les pratiques de contraceptions qui existaient déjà. Ainsi, par exemple, alors qu’en Asie et en Amérique, ils proposaient une contraception d’arrêt (c’est à dire qu’après avoir fait un certain nombre d’enfant, un couple décide qu’il en a eu assez et ne veut plus en faire), ils se mettent à proposer en Afrique une contraception d’espacement, qui correspond davantage à ce qui existaient déjà. C’est à dire que les femmes auront toujours des enfants durant toute leur vie fertile, mais qu’elles les espacent, qu’elles laissent passer plus de temps entre les naissances.
Ainsi, au cours du XXème siècle, nous passons d’une transition démographique non-dite, réprimée, à une transition qu’on veut imposer ailleurs, comme arme de progrès…
Source de l’article : Cours « démographie et antropologie des populations » à l’Unige, par Michel Oris